Pour l’état-civil, il est né Christian Hincker en 1967. Mais Blutch a vu le jour en se mutinant avec Marlon Brando, à bord du Bounty. Ou en relayant Steve McQueen au volant d’une Porsche 917, entre Mulsanne et les Hunaudières. Blutch, c’est l’étincelle qui lie la mythologie moderne et une vie n’appartenant qu’à lui. C’est un kaléidoscope de souvenirs, de références, d’admirations. En peinture, en ciné, en dessin, en BD, en photo, en jazz, Blutch pourrait prolonger à l’infini l’énumération de ce qu’il aime, de ce qu’il porte. Kurtzman, Topor, Polanski – ou Hitchcock, Kazan, Poïvet – y ont leur place.
Chez cet auteur, trois choses transforment un panthéon chiné au fil du 20 ème siècle en une oeuvre cohérente et forte. D’abord, une rapidité de prestidigitateur. Un livre de Blutch marche comme un flip-book : l’intelligence efface les raccords. Reste une histoire, une émotion.
Ensuite, ce panthéon-là est ouvert. Peu importe que vous soyez un ex-gamin des années 50 ou 90. C’est votre bio qui se réveille au fil de ces pages. Dans Le petit Christian, Blutch met en scène son premier amour. Elle y apparaît sous son vrai nom : Catie Borie. « Tout le monde a une Catie Borie », sourit l’auteur. « Dans ce livre, je voulais que chacun retrouve la sienne. C’est pourquoi je l’ai écrit au présent. »
Enfin, Blutch réalise une œuvre. Il traque de livre en livre le moyen de river le même clou – le temps et sa fuite – qui bien sûr lui échappe sans cesse. Alors, il y revient, encore et toujours. Et c’est aussi pour cela qu’il parle de ces collines de travail dressées devant lui et qu’il lui faudra gravir sans fin, l’une après l’autre. « Si bien qu’à 45 ans, il a tout son avenir d’auteur devant lui », dit un vieil ami. Au fond, pas étonnant que Blutch aime le jazz, ce genre qui réinvente sans cesse les mêmes vieux standards pour en fait jaillir de nouvelles lumières.